Lorsque Gianni Bugno a remporté sa première étape du Giro d’Italia, personne ne s’est vraiment attardé sur son cas. C’était l’avant-dernière étape de la Corsa Rosa 1989, La Spezia-Prato, et le jeune homme de 25 ans originaire de Monza était déjà un coureur respectable, avec trois victoires consécutives au Giro dell’Appennino, une étape du Tour de France, une deuxième place sur le Giro di Lombardia et divers autres succès. Il n’avait cependant pas attaqué l’année 1989 avec réussite et, même sur le Giro, il n’avait pas brillé, jusqu’à ce succès en échappée, qui fut éclipsé par la lutte acharnée pour le classement général entre Laurent Fignon, qui défendait la Maglia Rosa, et Flavio Giupponi.
Ainsi, lors du Giro d’Italia de 1990, il était presque impossible d’imaginer Bugno – qui, cette année-là, s’était déjà distingué avec un triomphe à Milan-Sanremo – se battre pour la Maglia Rosa jusqu’à la fin. Dans les faits, Gianni a conquis le symbole de la suprématie dès le premier jour, lors du contre-la-montre de Bari, et l’a porté jusqu’au podium final à Milan, un exploit que seuls Costante Girardengo, Alfredo Binda et Eddy Merckx ont réalisé avant lui, et que personne n’a répété depuis (pas même Tadej Pogačar).
Bugno s’est imposé avec la Maglia Rosa à Vallombrosa puis dans le contre-la-montre du Sacro Monte di Varese, creusant l’écart sur ses rivaux étape après étape. Les Dolomites l’ont également consacré, dans l’étape Dobbiaco – Passo Pordoi, où il repousse les attaques de ses rivaux, franchissant sans difficulté le Passo Valparola, le Gardena, le Sella, une première ascension du Pordoi, la Marmolada puis à nouveau le Pordoi. Il a affirmé sa supériorité en attaquant dans la dernière montée et en dictant le tempo avant de céder la victoire d’étape à son rival Charly Mottet en simulant un problème mécanique. Car Gianni était et est aussi cela, humble et généreux. Ce n’est pas un hasard si, au lendemain de son triomphe à Milan, le Corriere della Sera le qualifiait de “champion de la modestie et de la sérénité”. Une première nuit magique, deux jours avant le début des “Notti magiche” de la Coupe du Monde 1990.
Cette année marque la consécration pour Bugno, qui remporte également deux étapes du Tour de France (dont l’Alpe d’Huez) et lance définitivement sa carrière. Son palmarès s’est étoffé d’une victoire au Tour des Flandres, de deux championnats du monde, quatre étapes du Tour, avec deux podiums finaux, et pas moins de neuf étapes du Giro, dont la dernière remportée à Aoste en 1996.
Ce Giro dominé en 1990 reste cependant emblématique aujourd’hui. “Beaucoup, beaucoup d’émotions se sont concentrées en l’espace de quatre mois : la victoire sur Milano-Sanremo, la naissance d’Alessio, mon premier fils, le succès au Giro d’Italia“, écrivait Bugno à l’époque. “Il semble que ma vie ait galopé, même si rien n’a changé à l’intérieur de moi. C’est du moins ce qu’il me semble. Mais il y a une chose qui m’a particulièrement frappé ces derniers jours : ma relation avec les gens. Je ne sais pas comment donner une explication précise, il y a beaucoup de raisons, mais le fait est que si j’ai porté la Maglia Rosa de Bari à Milan, le mérite en revient surtout aux supporters qui m’ont toujours applaudi et encouragé sur les routes. Je sais que certains ont critiqué ma façon d’aborder le Giro, la qualifiant d’imprudente. Mais je sais que si j’ai toujours pédalé en tête du groupe, si j’ai essayé de profiter de toutes les situations favorables pour attaquer mes adversaires, je l’ai fait en pensant que le jour où je m’effondrerais, on se souviendrait encore de moi. Je n’ai pas chuté, j’ai rallié l’arrivée, cette Maglia Rosa qui était un rêve d’enfant s’est transformé en une belle réalité. Elle est à moi, elle restera à moi.”
Gianni Bugno fait désormais partie du Hall of Fame du Giro d’Italia et, en plus de la Maglia Rosa, il possède désormais le Trofeo Senza Fine, pour lui rappeler que ses exploits resteront éternels dans l’histoire du sport.